Partir, c’est s’alléger.
Se défaire du confort installé et
douillet, de l’accumulation de la vie passée, de la bibliothèque immense et
fournie, des héritages familiaux divers, des piles de linge bien repassé
serrées dans les armoires, des centaines de photos collées dans les albums, des
souvenirs d’enfance ─ des enfances ─ des services de vaisselle pour les jours
normaux et les jours particuliers et du service à thé en porcelaine de la
grand-mère, des vêtements pour parer à toutes les éventualités (le travail au
jardin et les chantiers de peinture, les après-midis de plage et les sorties à
la neige, les hivers pluvieux et les étés caniculaires), des documents qui
retracent toutes les étapes de la vie (l’achat de la maison, les emprunts, les
études, les diplômes, les emplois successifs, les dossiers d’examens médicaux…),
des objets ramenés de voyage ou reçus en cadeaux, des meubles de famille dont
la grande armoire en noyer ou le coffre de mariée, des cartons empilés au
grenier et du bric-à-brac dans la grange, à côté des outils du jardin.
Partir, c’est réduire sa vie, soudainement,
à un baluchon, une ou deux valises, au mieux quelques cartons.
Partir, c’est se détacher.
Abandonner. Oublier. Se délester.
Partir, c’est trahir, se trahir tout
en se choisissant. Se choisir seul, presque nu pour passer à la suite. Pour
accepter l’inconnu comme une nouvelle arrivée à la vie. Se dépouiller pour
renaître. Renaître à soi. A un autre soi. Un nouveau soi que l’on ne connaît
pas encore mais à qui l’on confie nos quelques trésors actuels en pariant sur l’avenir.
Partir, c’est faire table rase.
Tabula rasa. D’un revers de manche, faire basculer son monde. Le renverser. Le
mettre cul par-dessus tête. Brouiller les cartes et les redistribuer.
Partir, c’est se réinventer. Et
réenchanter sa vie. Quand on s’est trouvé au pied du mur, au bout du chemin, sans
espoir, dans la peine et l’adversité, dans l’empêchement de continuer à vivre,
dans la nuit noire de l’âme.
Partir, c’est vivre.