En 2023, pour la première fois, j'ai participé à l'exposition collective des Bancs-Poèmes à Souvigny (03). Le collectif d'artistes 2A2B, installé dans le quartier du Chapeau Rouge, a créé ce concept depuis plusieurs années. Les artistes qui participent doivent réaliser un banc accompagné d'un poème. Au départ, ce n'était que des vrais bancs, faits pour s'asseoir, puis le projet a évolué et sont maintenant acceptés des créations en volume, même de petite taille.
Donc, en 2023, j'ai exposé mon premier Banc-Poème, intituté "Un Instant pour soi".
Un Instant pour soi
Un instant pour s’asseoir
S’arrêter au bord du monde
Ecouter ses palpitations
Et son cœur
Un instant pour se poser
Se reposer déposer son fardeau
Laisser les pensées s’envoler
Rêver imaginer
Un instant pour ouvrir un livre
Pour prendre un carnet
Lire écrire laisser la langue
Se déployer en soi, infuser
Dans les premiers mois de 2025, au milieu de ma traversée du désert, j'ai décidé de me fixer des projets et des challenges pour les mois à venir, pour m'obliger à me remettre dans le mouvement et dans la création. Je me suis donc inscrite à l'exposition des Bancs-Poèmes qui a lieu tous les deux ans pour juin 2025.
Lorsque j'avais réalisé mon premier banc en 2023, j'avais pensé à un triptyque qui était pour le moment resté à l'état de notes dans mon cahier. Il s'agissait d'une variation sur les éléments : le végétal, le minéral, l'air, quelque chose autour de la circulation de l'énergie entre terre et ciel.
Les délais étant courts entre mon inscription et la date de l'exposition, je m'étais dit que je ne réaliserais cette année que la 2e sculpture du triptyque et qu'il se finaliserait plus tard. Elle devait représenter une sorte de chaos minéral fait de blocs de pierres plus ou moins régulier et de coulées de laves solidifiées : un chaos primitif ou fin du monde. Ce volume était également rattaché pour moi à mes souvenirs d'enfant quand je jouais sur de gros blocs de pierre, au bord du bief du moulin où vivaient mes grand-parents. Selon les jeux, les blocs de pierre me servaient alors de table ou de banc, mobilier minéral, solide, essentiel, intemporel. Cette période de ma vie évoque pour moi un état primordial, une connexion directe et intuitive à la terre et aux éléments.
En 2023, j'avais griffonné rapidement quelques croquis, mais j'avais gardé en mémoire les images que j'avais visualisées. Sauf que, entre l'idée de la création et la création elle-même, il y a parfois un gouffre... Le temps de remettre la main sur mes notes, enfouies depuis deux ans dans mes cahiers, de réfléchir à la faisabilité et à la réalisation du projet, les semaines sont passées et la sculpture n'a pas été facile à accoucher.
Au fil du temps et, de mes tentatives de donner du sens à ce projet, mon état émotionnel, intérieur qui n'était pas au beau fixe, mais aussi la situation générale de notre société et de l'impression de fin de cycle ou de fin du monde dans laquelle nous barbotons depuis un certain temps, entraient en écho avec ma sculpture. Cette même sculpture, qui une fois produite, ne donnait pas ce que j'avais imaginé. Je la trouvais décevante, fade, trop facile, inexpressive, quelconque.... Ce chaos minéral ne tenait pas la route, ne faisait pas sens tout seul. Je l'ai retravaillé une fois, deux fois, trois fois, quatre fois... Et côté poème, c'était encore pire ! Je prenais des notes, je jetais des mots sur le papier de temps en temps mais rien ne se construisait, la mayonnaise ne prenait pas. J'étais inquiète, déprimée, stressée. Plus j'essayais, moins j'avançais et moins j'avançais, moins j'arrivais à me concentrer, à réfléchir et à débloquer la situation.
Après plusieurs semaines, malgré le manque de temps, j'ai finalement décidé de réaliser également la sculpture N°3 pour mettre en perspective l'ensemble, donner du sens et intégrer la 2e, qui était plus faible, dans une logique plus large. Cela a encore pris du temps pour régler des questions techniques puisqu'il fallait que je réussisse à faire tenir en l'air un gros nuage de papier. Je pataugeais dans la semoule. L'écriture des poèmes n'avançait pas. J'avais dépassé les délais, j'étais en retard pour envoyer le descriptif des sculptures et des textes...
Bon, finalement, après des semaines de tergiversations, d'essais, de blocages, de lamentations intérieures, de difficultés à me concentrer, à visualiser, à donner une orientation à mon projet, d'envie de tout laisser tomber et d'annuler ma participation (mais je déteste m'avouer vaincue), j'ai décidé, parce que je n'avais vraiment plus le temps et qu'il fallait prendre une décision, de prendre les grands moyens. J'ai trouvé dans mes textes déjà écrits un poème que j'ai un peu modifié et qui convenait pour la sculpture N°3. Et pour la 2e, tout compte fait, j'ai pensé que si le texte restait à l'état de bribes, c'était cohérent avec son sujet. J'ai donc repris mes notes, tapé les mots et les bouts de phrases, et au final, quelque chose s'est construit, qui dit la difficulté de ces derniers mois, ma confrontation à mon chaos intérieur autant qu'au marasme de notre monde actuel.
Chaos volcanique
Magma
Dedans dehors
En moi et hors de moi
Comme un chaos primitif
Ou définitif
Big bang volcanique
Les blocs s’empilent
Effondrement
Dislocation
Marasme
Interrogation incompréhension
Cécité
Vision bouchée occultée
Sommes-nous aux sources ou à la fin de toute vie ?
Oser approcher son côté sombre
Apprivoiser son ombre
Regarder l’informe en face
Son magma intérieur
La boue collante des rebuts de nos vies
Peurs et blessures
Dans mon dos une douleur comme un poing fermé
Une pierre sur le cœur
Le feu me consume
Poussière
Entre terre et ciel
Se
balancer sur les ailes du vent
S’envoler
dans les nuages
Rêver
Courir
à en perdre haleine
Parcourir
le monde à grandes enjambées
Vivre
Marcher
à pas de géant
Comme
sur des échasses au long cou
Voir
Rire
à gorge déployée, comme un fou
En une
cascade rafraîchissante
Respirer
Voir
ce qui est en soi
Et
au-delà
Sentir
Chanter
à tue-tête et tutoyer les anges
Sauter
dans la marelle du ciel
Aimer